Avez vous retenu leurs noms ? Avez vous une liste de tous ceux qui étaient là chaque nuit et chaque jour malgré la pluie, le froid, les conditions d’hygiène ? Nous avons juste vu quelques têtes que nous risquons d’oublier d’ici quelques semaines. Et pourtant c’est grâce à eux que ce que nous avons cru impossible hier, est devenu une réalité aujourd’hui.
Ils sont partis sans qu’on puisse leur rendre réellement hommage. Certes, il y avait du monde ce jour là mais pas assez pour leur montrer qu’on était là avec eux et qu’on les soutenait sous nos couvertures bien chaudes. Certes ils sont partis avec les applaudissements, quelques fleurs, qu’ils ont d’ailleurs redistribué. Mais ils sont surtout partis avec les larmes aux yeux, l’hymne national sur leurs bouches et le drapeau sur le cœur. Et je pense sincèrement qu’ils fuyaient ce moment car ils ne cherchaient pas à nous présenter des héros mais plutôt à ce que chacun de nous le devienne et partage avec eux cet engagement. Et par humilité peut être, et parce que beaucoup d’entre eux ont perdu un frère ou un ami, parce qu’ils savent que leur résistance n’est qu’un devoir envers ceux qui ont déjà donné leurs vies, et qu’ils vont désormais affronter leurs deuils mais qu’ils ont encore à donner pour cette nouvelle Tunisie.
Car c’est ça la nouvelle Tunisie. Une Tunisie qui plus que jamais se veut plurielle, tolérante, digne et libre. Une Tunisie qui a su défier, jusque là, toutes les tentatives, de ses fils, ses amis et ennemis, de division ou de rabaissement.
Peut être que nous ne rendons pas compte que nous sommes en train de produire un nouveau modèle de solidarité et d’engagement citoyen. Un nouveau modèle qui refuse de reproduire ou d’imiter les vieux schémas et discours. Un nouveau modèle qui ne prétend pas être orphelin ou sans passé mais qui refuse un paternalisme suffocant qui s’est habitué à glorifier le peu qu’on lui offre. Un nouveau modèle qui part presque du néant, loin des clivages des partis politiques, des idéologies et des calculs des uns et des autres. Si avant on blâmait l’ignorance de ce peuple de son histoire et de ses leaders, je pense que c’est ce qui le sauve aujourd’hui et c’est ce qui le sauvera demain.
Ce peuple, jeunes et moins jeunes, doit continuer à instaurer les règles de ce nouveau schéma qu’il est en train de créer et d’expérimenter. Doit garder sa confiance et sa détermination afin d’instaurer les nouvelles règles du jeu. Il doit aller de l’avant et s’organiser encore pour être présent à toutes les étapes de cette démocratie naissante.
Si nous baissons les bras aujourd’hui en croyant que nous avons gagné, si nous laissons ces autres décider à notre place au nom de leur sagesse ou expérience alors nous pouvons être sûrs que la révolution n’est qu’illusion.
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